Pique nique à Hanging Rock est le premier film que j'ai vu à m'avoir hanter pendant de longues années... et je continue d'être hantée par lui.
Sous ce nom somme toute assez anecdotique se cache une petite perle, un film à la frontière de l'irréalité, du rêve éthéré sans jamais y plonger réellement. Aucun spoiler en vue, seulement mes sensations et mes petites idées.
Pique nique à Hanging Rock (
Pic nic At Hanging Rock) est un film australien de Peter Weir, réalisé en 1975, adapté du roman du même nom de Joan Lindsey. Merci d'avance à ce qui auront le courage de me lire en entier, tant j'ai l'impression d'avoir écrit un pavé !
L'intrigue tient en peu de mots : il faut imaginer l'Australie, le jour de Saint Valentin de l'an 1900.
Il faut imaginer un collège anglais pour jeunes filles en fleur. Il y a là quatre amies : la lointaine et diaphane Miranda, l'élégante et noble Irma, la silencieuse Marion et ses airs sérieux, et la romantique Sarah que l'on compare à "
une biche effrayée de tout". Les entourent Mme Appleyard, la directrice sévère et de noire vêtue, et leurs institutrices : Miss McCraw, la vieille fille au premier abord fort revêche, et Miss DePoitiers qui semble être le pendant lumineux de Miss McCraw, jeune et vive. Les attends une sortie, ce fameux pique-nique qui va les emmener a Hanging Rock, immense montagne labyrinthique, lieu de magie et de mystère pour le peuple aborigène.
Le film débute, au son d'une douce mélodie à la flûte de Pan, sur un plan du grand bâtiment, qui semble presque déplacé dans cet endroit sauvage. Les jeunes filles se préparent, se coiffent, s'aident mutuellement à serrer leurs corsets, rêvassent, et puis nous voyons Miranda qui reçoit une carte pour la Saint Valentin des mains de son amie Sarah, qui est aussi brune qu'elle est blonde. S'observant dans le miroir, Miranda devient songeuse et annonce à Sarah qu'elle ne devrait pas trop s'attacher à elle : elle n'est pas sûre qu'elle sera là l'an prochain.
Et puis, quand toutes les jeunes filles sont prêtes, elles s'en vont, en calèche, avec un dernier mot de Mme Appleyard. Mais toutes ne sont pas conviées au pique nique : Sarah, pour ne pas avoir appris ses leçons, est obligée de rester à l'école pour travailler.
Arrivées sur les lieu, les jeunes filles babillent, gloussent, sauf la tranquille Miranda, qui saute à terre pour aller ouvrir le portail qui mène à Hanging Rock. Contrairement aux autres, elle se rend compte de la forte agitation qui regne sur les lieux. Les oiseaux s'envolent dans un affolement général. Et quand on demande l'heure, on se rend compte, sans réellement s'inquieter, que toutes les montres se sont arrêtées à midi. Le pique nique débute dans la joie et la paresse s'installe progressivement au sein de la petite troupe : on s'allonge dans l'herbe, on observe les insectes, on lit un poème.
Dans ce lieu où le temps s'est litteralement enfui, Miranda, Irma, Marion et Edith, la copine bavarde, demandent la permission d'aller voir la montagne de plus près. Dans leur lente ascension, les jeunes filles - sauf Edith - sont envoutées par ces rochers. Miranda traine sur son visage un sourire tranquille, les mots se font rares, on cite Edgar Allan Poe : "
Tout ce que nous voyons ou paraissons, n'est qu'un rêve dans un rêve". Ces rochers qu'elles escaladent bravement, rochers où fusionnent les mondes animal, végétal et mineral, elles n'en reviendront pas.
Leur disparition va émouvoir, choquer celles qui sont restées sur place, un jeune homme de bonne famille litteralement tombé sous le charme de la belle Miranda qu'il compare à un cygne... les recherches vont débuter et s'éterniser, sous la houlette de policiers.
Le film inquiète, fascine et est un paradoxe à lui seul, jouant sur les antinomies : tous les passages avec ces jeunes anglaise sont d'une délicatesse extrême, que ce soit dans la lumière dorée du soleil qui les nimbe, dans la dentelle de leurs robes, dans la douceur des poses et des regards, les fleurs, leur rayonnance et leur douce sensualité qui semble s'éveiller.
Et puis, elles arrivent à Hanging Rock. Les jeunes filles semblent alors écrasées par la force, la grandeur de la montagne, et sont pour la première fois confrontées à la Nature rebelle, non-civilisée et ensorcellante, elles ôtent tout ce qui peut les entraver (bottines, collants...), sont silencieuses et graves et ne semblent pas s'apercevoir de ce qui se passe autour d'elles, et gravissent les rochers avec une ferveur quasi-mystique (ce qui fait entrevoir à certain un érotisme discret, car le film peut alors prendre des atours de films d'épouvante : les vierges offertes au "démon", au loup , la montagne (symbole phallique à elle seule), ce qu'accrédite la couleur des robes portées :
- Spoiler:
Irma, qui sera finalement retrouvée, porte désormais un manteau couleur rouge sang, mais aussi rouge passion, symbole de son nouveau statut de femme).
Et cette montagne n'est pas sans pouvoir : elle hypnotise - tous ceux qui l'escaladent ressentent le besoin de s'allonger pour dormir, se réveillent avec des égratignures inexpliquées, elle intrigue et dévore, au sens figuré du terme...
Le film est aussi une affaire d'affrontements, entre le monde dit civilisé, l'Angleterre et ses règles, sa bourgeoisie, son raffinement; et l'Australie et ses forces liées a la nature, ancestrales... qui, peut-être, broyent ceux qui ne se plient pas à elle. Mais c'est aussi l'affrontement social, les termes de la bienséance, les préceptes victoriens d'une societé qui se ronge elle-même, ces règles rigides et qui n'admet aucune erreurs, aucune faiblesses, aucun écart de conduite ou les naissance de basse extraction, aucune rébellion ou avis contradictoires à elle, il faut se complaire dans le moule, cacher ses vices (comme Mme Appleyard qui cache sa bouteille d'alcool dans les tiroirs), et taire ses sentiments (tous ces aspects étant représentés par le beau personnage qu'est Sarah).
Un film que l'on pourrait rapprocher d'un conte, encore une fois, tant les symboles sont autant de métaphores : le cygne qu'aperçoit en rêve le jeune amoureux de Miranda, qui est elle, le joyau du film, alors que son temps de présence à l'écran est finalement minime (le cygne étant, dans la mythologie celte, le symbole du passage entre les deux mondes, celui des morts et des vivants), le temps, suspendu à Hanging Rock, et qui ne cesse de sonner comme une plainte dans le bureau de Mme Appleyard, le temps encore dans les vêtements noirs de cette dernière (contrastant avec les vêtements blancs des pensionnaires) qui la fige dans le passé.
Pardoxe enfin, dans son thème : un film morbide
- Spoiler:
(on y aborde principalement la mort, la disparition, le suicide, les non-dits et les masques que l'on peut porter en societé, les fantômes, le désir que l'on peut parfois avoir en voulant s'éloigner de la vie et voir ce que cache l'invisible, et n'être ainsi finalement, qu'essence et esprit pur),
morbide et pourtant éclatant et lumineux...
Pique nique à Hanging Rock est un film envoûtant, étrange, essentiel, mystérieux, sensuel et comtemplatif... un des rares films que je considère comme un chef d'oeuvre.
Je précise également qu'il existe deux versions de ce film : la première sortie en salle en 1976, et la version Director's Cut, amputée d'une dizaine de minutes, mais minutes fort importantes, puisqu'un épilogue concernant l'un des personnages a été amputé. Il me semble qu'à ce jour, cette première version est toujours invisible, malheureusement.
Il existe également beaucoup de sites qui tentent de comprendre le pourquoi du comment, dont certaines sont franchement absurdes... mais toujours très drôle à lire. Une petite anecdote : Joan Lindsey, dans son roman, donnait l'explication quant à la disparition des filles. Les éditeurs, jugeant, à raison pour une fois, que le mystère serait plus intriguant s'il n'était pas dévoilé, otèrent cette partie lorsque le livre fut publié dans les années 60. Il y a quelques années, le livre fut réedité avec cette explication, le fameux chapitre 18, et inutile de vous dire que les afficionados de cette histoire furent viscéralement déçus, moi la première !